1927

 

 

Publié dans La Correspondance Internationale, 7e année, n°119, 30 novembre 1927, pp. 1729-1732.
« L'association des Amis de l'Union Soviétique (AUS), également nommée « Amis de l'URSS », fait partie des « organisation de masse » gravitant autour du Parti communiste français dans les années trente. (Les «Amis de l'URSS» et le voyage en Union soviétique. La mise en scène d'une conversion (1933-1939) , Rachel Mazuy, 1992)
« Le premier congrès des Amis de l'Union Soviétique (AUS), auquel participent 947 délégués de 43 pays, est organisé en novembre 1927 à Moscou dans le prolongement des fêtes du Xe anniversaire de la révolution d'Octobre, mais c'est à Cologne, en mai 1928, que le mouvement s'institutionnalise véritablement. »
(Cahiers du Mouvement Ouvrier numéro 19, 2003, page 84)

 

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La révolution russe et la social-démocratie

Discours au Congrès des amis de l'Union Soviétique

N.I. Boukharine

Novembre 1927



Camarades,

Je veux m'entretenir avec vous d'une question précise, à savoir, de notre tactique pendant la révolution et de la tactique des partis social-démocrates. J'ai choisi précisément cette question parce que nous, dans l'Union Soviétique, avons dix années de révolution prolétarienne victorieuse derrière nous et parce que ce jubilé est une bonne occasion pour vérifier notre théorie et les théories des social-démocrates, nos méthodes politiques et tactiques et celles de la social-démocratie. J'aborde cette question également pour la raison — et je tiens à le souligner — que ces derniers temps les chefs social-démocrates nous ont fait plus ou moins ouvertement des propositions de « collaboration ». De telles propositions sont, par exemple, contenues dans les déclarations du social-démocrate Loebe, dans les lettres et articles du représentant du Parti travailliste indépendant de Grande-Bretagne, Brockway, ainsi que dans une série d'autres déclarations et, enfin, dans les récents discours d'Otto Bauer et d'Ellenbogen prononcés à l'occasion du jubilé de notre révolution prolétarienne. A mon avis, le dernier discours d'Otto Bauer, dans lequel il analyse notre politique et formule des propositions tactiques, est particulièrement remarquable.

Que dit Otto Bauer en ces journées jubilaires de notre Révolution d'Octobre ? Il s'est étendu sur nos « fautes » qui, à son avis, consistent dans le transfert des « méthodes russes » à d'autres pays et l'application de la terreur aux menchéviks et socialistes-révolutionnaires. Il a parlé également de ce que nous passons maintenant de la terreur contre les menchéviks et les socialistes-révolutionnaires à la terreur contre notre opposition. En conclusion de cette « analyse » de nos fautes, Bauer pose les conditions préalables suivantes pour la collaboration entre les partis social-démocrates de l'Europe occidentale, d'une part, le gouvernement soviétique et le Parti communiste de l'Union Soviétique, de l'autre : 1) consolidation intérieure et démocratisation du pays ; 2) cessation des différentes manœuvres tactiques des communistes de l'Europe occidentale. Telles sont les « bases » de collaboration et les conditions d'un changement d'attitude des partis social-démocrates envers l'Union Soviétique. Je vais donc m'occuper ici de ces conclusions ou, pour mieux dire, des conditions que les partis social-démocrates nous ont posées par l'intermédiaire d'Otto Bauer.

Quel est le sens politique de ces conditions ? Que signifient ces propositions de Bauer ?

Que veut dire « consolidation intérieure » et « démocratisation » du pays ? Je crois qu'il ne peut y avoir aucun doute sur le sens de ces termes. Démocratisation du pays signifie remplacement de la démocratie prolétarienne, c'est-à-dire de la dictature prolétarienne, par une démocratie bourgeoise du type ordinaire. Une telle démocratie bourgeoise existe dans maints pays, à commencer par les États-Unis jusqu'à l'Autriche où le contenu politique de la démocratie bourgeoise s'est révélé d'une façon particulièrement frappante lors de l'insurrection des ouvriers viennois. Par conséquent, leur première condition de collaboration est la liquidation de la dictature du prolétariat.

Quelle est la signification de la deuxième « condition » — cessation des manœuvres tactiques des partis communistes ? Cela veut dire que les partis communistes doivent absolument cesser de lutter pour la conquête des masses et pour leur existence en tant qu'organisations politiques indépendantes du prolétariat. Bref, cette revendication d'Otto Bauer revient à nous demander de ne plus être communistes et de liquider l'Internationale Communiste. Donc, les deux conditions d'Otto Bauer se résument ainsi : premièrement, liquidation de la dictature du prolétariat et, deuxièmement, liquidation de l'Internationale Communiste.

Camarades, nous estimons que ces « propositions » lancées à l'occasion de la fête de la Révolution russe victorieuse, vont quand même « quelque peu » trop loin. (Rires.)

Les « propositions » « socialistes » de Bauer sont d'autant plus ridicules qu'elles ne font que répéter les exigences essentielles de l'impérialisme mondial. Lors des pourparlers de tout ordre, qu'il s'agisse de négociations politiques au sujet de la reconnaissance de jure de notre État prolétarien ou de tractations économiques en vue d'obtenir des crédits ou d'étendre nos relations commerciales — le monde bourgeois nous pose des conditions à peu près semblables.

Bien plus, les représentants de la bourgeoisie sont, précisément maintenant, beaucoup plus modestes que le social-démocrate « de gauche » Otto Bauer.; Les représentants de la bourgeoisie exigent de nous « seulement » la liquidation de l'Internationale Communiste ; ils n'osent demander la liquidation de l'Etat soviétique. Le social-démocrate de gauche Otto Bauer n'est pas aussi lâche que le monde bourgeois : courageux comme il est, il va plus loin dans ses revendications (Rires), Il nous demande de faire des sacrifices bien plus lourds sur l'autel de la collaboration avec la social-démocratie. Je suis convaincu que vous comprenez très bien pourquoi ces revendications d'Otto Bauer nous paraissent ridicules en même temps que grossières.

Si nous abordons cette question du point de vue non pas de la polémique avec les chefs de la social-démocratie, mais de la destinée des larges masses travailleuses, voici ce qu'il faut dire à propos du discours d'Otto Bauer : Il me semble qu'il est grand temps de comprendre que la réalité, le cours de l'histoire, permet la meilleure vérification des différentes méthodes tactiques et politiques. Y a-t-il eu, ces derniers temps, pendant les dix dernières années, une grande épreuve historique et partiellement même sanglante de la théorie, du programme, de la stratégie et de la tactique du communisme, d'une part, et du socialisme, d'autre part ? Une telle épreuve a existé. On nous demande d'appliquer des méthodes démocratiques, d'autres méthodes, pour la conquête du pouvoir, de changer nos conceptions sur le caractère de l'État, d'instituer une autre forme d'État, une autre politique de parti. Mais, essayons donc de comparer les résultats de notre décade avec ce qui s'est passé dans d'autres pays, où l'on s'est servi de méthodes opposées aux nôtres. En faisant la comparaison, nous trouvons incontestablement que les résultats ne sont nullement favorables à l'appréciation de la stratégie, de la tactique et de la politique des social-démocrates.

Prenons la question de la conquête du pouvoir. La question qui est pour ainsi dire la ligne de partage entre nous et la social-démocratie est celle de l'application de la violence. Certes, nous sommes des barbares, parce que nous nous servons de la violence, bien que Marx ait tranché cette question précisément dans notre sens. Supposons pourtant que Marx ne soit plus une autorité pour les social-démocrates. Or, nos adversaires social-démocrates ont essayé de s'emparer du pouvoir par d'autres méthodes. Dans quelques pays, ils ont été partiellement au pouvoir — en Allemagne, en Autriche, en Grande-Bretagne, en Suède, en Belgique, au Danemark, etc., etc... Dans ces pays, les social- démocrates ont appliqué des méthodes « civilisées » « européennes occidentales », « humanitaires », « pacifistes », « révolutionnaires ». « organiques » (Rires), « paisibles », des méthodes « macdonaldiennes ». Involontairement, la question se pose : où est le Conseil des commissaires du peuple d'Allemagne ? Où est le Cabinet d'Otto Bauer en Autriche, où est le cabinet social-démocrate en Suède ?, etc., etc... Où est l'inspirateur idéologique actuel de la IIe Internationale, où est maintenant MacDonald, cet homme absolument loyal, absolument bon, absolument dépourvu d'esprit oppositionnel et même absolument « fair » vis-à-vis de M. le roi d'Angleterre ? Pourquoi a-t-il disparu, ainsi que tous les autres, de l'arène des chefs d'État ? La bourgeoisie l'a mis de côté, l'a détrôné. Mais nous, nous existons, avec nos méthodes « barbares », « non européennes », « grossières » et « violentes », avec notre politique « grossière » d'« emploi de la violence ». (Applaudissements.)

Que démontre donc cette épreuve pratique ? Elle se prononce pour nous, contre nos adversaires. Mais moi-même, pour m'exprimer très modestement, j'ai mal posé la question, Est-ce que la classe ouvrière d'Angleterre a été réellement au pouvoir du temps du gouvernement Macdonald ? Nous sommes d'avis que ce ne fut pas le cas. Ceux qui t'ont cru, étaient en proie aux illusions. Le cabinet du Parti travailliste n'eut rien de commun avec la véritable domination de la classe ouvrière. Quelle fut la politique de Macdonald ? Elle fut faite de trahison vis-à-vis des ouvriers. A-t-on prononcé une seule parole sur la réalisation du socialisme, sur l'expropriation des expropriateurs, sur une véritable politique ouvrière ? Non. Il y a eu différents discours doucereux de pasteur: C'est cela que nous avons entendu, mais jamais, de véritables paroles sur la réalisation du socialisme ne sont parvenues à nos oreilles. Ce soi-disant gouvernement « ouvrier » a oublié cela et, s'il en parla, il ne le réalisa pas. Le cabinet Macdonald s'était orné de l'étiquette : « gouvernement ouvrier » ; en réalité, il ne fut qu'une créature de l'impérialisme anglais. La physionomie impérialiste de ce gouvernement « ouvrier » s'est manifestée le plus nettement dans la politique étrangère, dans la politique envers les peuples opprimés par l'Angleterre, notamment vis-à-vis de l'Inde. Chaque militant du mouvement national- révolutionnaire peut vous raconter les mesures révoltantes du gouvernement Macdonald. Et c'est, souillé de ces actes, qu'a disparu de la scène historique ce gouvernement « socialiste », qui n'ayant entrepris aucune démarche dans la direction du socialisme appliqué a; au contraire, continué la politique de sa propre bourgeoisie.

Les social-démocrates les plus à « gauche » les social-démocrates d'Autriche, disent qu'ils ne sont pas, « en principe », contre l'emploi de la .violence. Mais tout cela est vraiment ridicule ! Nous connaissons certains cas d'emploi de la violence par les chefs de la social-démocratie autrichienne, seulement il s'agissait de la violence contre la classe ouvrière. C'est ainsi que, pendant les événements de Vienne, la violence a été appliquée, non pas contre Seipel et le gouvernement autrichien, mais contre la classe ouvrière agissant contrairement à la volonté des chefs social-démocrates. Cela est un fait historique. Si les social-démocrates parlent au sujet de notre pays, de démocratie et de dictature, ils passent intentionnellement sous silence le fait que la dictature dans notre pays représente la démocratie prolétarienne, qui crée pour le développement de l'activité ouvrière et paysanne, un champ d'action si vaste qu'il n'en existe et qu'il n'en peut exister de pareil dans aucun pays soi-disant démocratique. Il est ridicule de comparer la démocratie abstraite, qui n'a encore existé nulle part et qui n'existera jamais nulle part, avec la dictature abstraite qui n'a existé et qui n'existera jamais. Il y a différentes sortes de démocraties et de dictatures. La dictature du prolétariat est en même temps la démocratie la plus parfaite, à savoir la démocratie prolétarienne. Et si, maintenant, Otto Bauer vient nous parler de « consolidation » et de « démocratisation » de notre pays, cela revient à exiger, en réalité, d'accorder des droits aux ennemis du prolétariat et de la paysannerie et d'anéantir la position dominante de la classe ouvrière. La dictature du prolétariat implique la position monopoliste de la classe ouvrière. La démocratie bourgeoise, par contre, équivaut à l'anéantissement du rôle dirigeant du prolétariat dans toute la vie publique.

Les social-démocrates ont déjà essayé à maintes reprises de prendre une attitude absolument paisible vis-à-vis de la bourgeoisie et absolument traîtresse vis-à-vis du prolétariat. Les résultats sont particulièrement visibles en Allemagne. Il y a eu, en Allemagne, des soviets qui remplissaient précisément les revendications qu'Otto Bauer ose maintenant nous poser : tout d'abord, il y eut des soviets et puis, la social-démocratie accédant aux revendications actuelles d'Otto Bauer, céda le pouvoir à l'Assemblée nationale, introduisit la démocratie, etc., etc... On n'a pas fait le moindre mal aux contre-révolutionnaires. On n'a appliqué aucune violence contre la bourgeoisie. Ils ont été très paisibles, ces social-démocrates humanitaires et pacifistes ! Il est vrai que, quelques temps après, la violence a été appliquée avec la participation des chefs social-démocrates, mais, de nouveau, cette violence fut dirigée contre la classe ouvrière ; elle a trouvé son expression dans l'assassinat des chefs les plus éminents de la classe ouvrière. Tout le monde connaît ces faits. Mais le plus saillant de tous est que toute cette politique des social-démocrates a fait complètement faillite. Et si, maintenant, après tant d'expériences, après tant de défaites écrasantes essuyées au cours de ces années, on vient nous dire: Je vous en prie, recommencez en Russie les expériences que nous avons rassemblées si « brillamment » en Allemagne et dans l'Europe occidentale en général — alors nous répondons : nous ne sommes pas assez bêtes pour discuter de nouveau, au moment où nous célébrons le Xe jubilé de la révolution prolétarienne victorieuse de notre pays, ces questions tranchées par la vie. (Applaudissements.)

On nous dit encore: Vous voulez transférer les méthodes russes en Europe occidentale. Qu'est-ce qui les autorise à lancer cette « accusation » contre nous ? Pour une telle « accusation » il faudrait prouver qu'en Russie telle et telle méthode sont nécessaires tandis que, dans les pays de l'Europe occidentale, il faut, en principe, en appliquer d'autres. Mais, excusez, pourquoi nous demandent-ils alors de nous servir de la si fameuse « démocratie » européenne occidentale ? Comme vous le voyez, la logique d'Otto Bauer est allée se promener dans la forêt. (Hilarité.) Toutes ses réflexions sont pleines de contradictions internes.

Mais, est-il bien vrai que nous nous servons de méthodes absolument « spécifiques », « russo-asiatiques », inapplicables dans les pays de l'Europe occidentale ? Est-il vrai que « notre » théorie ne vaut rien en Occident ? Je conteste et nie cette thèse dans son ensemble. Notre parti communiste et ses chefs — depuis les premiers débuts de notre parti — ont été, au contraire, les disciples du communisme « allemand », les disciples de Karl Marx. N'est-il peut-être pas vrai que notre théorie d'État est une théorie marxiste, qu'elle a été et restera toujours la théorie de Marx et que les partis social-démocrates révisent tout ce que Marx; a écrit sur cette question ? N'est-il pas vrai, que les chefs de la social-démocratie, que toute une série des dirigeants actuels de la social-démocratie, ont défendu jadis la dictature, la révolution prolétarienne ? Nous avons non seulement accepté la théorie totale de Marx, nous l'avons non seulement propagée en paroles — nous l'avons mise en pratique. Et qu'ont fait les social-démocrates ? Cette doctrine — la doctrine de la révolution prolétarienne, ce fondement du marxisme, ils l'ont révisée. Macdonald — ce fidèle serviteur de son roi — est maintenant le chef de la social-démocratie internationale. Mais notre chef est Marx, notre chef est Lénine, qui a été un marxiste éminent et qui a enrichi le marxisme des expériences de notre époque.

Quant à la question la plus brûlante de notre époque — la question de la guerre — nous maintenons le point de vue défendu jadis par nous que le capitalisme est inévitablement accompagné de guerres, que celles-ci sont une fonction de l'existence du capitalisme, qu'elles font partie des lois d'évolution du capitalisme. Tel est le point de vue marxiste. Et que dit maintenant la social-démocratie ? Elle prêche que tout cela est suranné, que tout cela a changé depuis la création de la S. d. N. Pour eux, Marx est trop vieux. Hilferding écrit dans sa revue que les capitalistes, les chefs des trusts et konzerns agissent inconsciemment en marxistes. Vraiment, un marxisme magnifique ! Dans les partis social-démocrates, le révisionnisme triomphe sur toute la ligne. Nous, par contre, nous fûmes et restons des partisans fidèles de la théorie marxiste. Comment peut-on dire, dans ces conditions, que tout ce que nous faisons dans notre pays a été imaginé par nous, que nous voulons « exporter » nos méthodes barbares, russes, en Europe occidentale ? Dans le passé, nous avons importé le marxisme en Russie. Et cette « marchandise » idéologique fut et reste l'arme la plus efficace. Nous l'avons appliquée, tandis que les anciens marxistes ont trahi le marxisme. Comment alors peut-on nous inculper de nous servir de méthodes « spécifiques », absolument étrangères à l'Europe occidentale. L'idée qu'il faut pour l'Europe occidentale, pour l'Australie, pour l'Amérique et, finalement, pour chaque pays pris à part, des méthodes spéciales pour la conquête du pouvoir par le prolétariat est absurde et imbécile. Il n'existe absolument aucune méthode européenne occidentale spéciale, les méthodes de lutte étant dictées par le rapport des forces entre les classes et les différentes couches des diverses classes, ainsi que par les différentes idéologies dans chaque pays. Il est absolument non marxiste de parler de l'Europe occidentale comme d'un tout : mettre Hilferding et Thälmann sur un même niveau est peut-être original, mais nullement prudent. En Europe Occidentale comme dans l'Union Soviétique, il y a des méthodes social-démocrates et des méthodes communistes. Les expériences ont démontré qu'également dans notre pays, les menchéviks russes — les social-démocrates — ont essayé de réaliser leurs méthodes : eux aussi rejetaient l'emploi de la violence contre la bourgeoisie et, après avoir soutenu la bourgeoisie d'une façon conséquente, ils ont combattu les armes à la main la dictature du prolétariat. Et il est compréhensible que chez nous, la situation est actuellement telle que des différentes partis existants, il n'y en a qu'un seul qui détienne le gouvernail, tandis que les autres sont en prison. Il en sera également ainsi dans l'avenir.

Il est absurde de supposer que les formes de notre Etat et de notre politique de parti seraient les mêmes que maintenant si nous n'étions pas environnés par l'impérialisme mondial. Vous ne devez jamais oublier que toute force qui, dans notre pays, essaiera de désorganiser nos rangs et notre cause, obtiendra immédiatement le soutien du monde bourgeois entier. Et précisément .parce que nous sommes toujours seuls jusqu'à présent, notre situation est particulièrement difficile. Il n'y a que le poing de fer de la dictature du prolétariat qui puisse combattre les différentes difficultés. Et si, maintenant, les chefs social-démocrates, après leurs expériences pitoyables de l'application des méthodes social-démocrates, nous posent comme condition de liquider l'I C. et la dictature du prolétariat, alors nous ne pouvons répondre que par un sourire. Je suis convaincu que vous nous en excuserez. (Hilarité, applaudissements.)

Pendant de nombreuses années, nous avons mené une guerre sanglante contre notre bourgeoisie et ses aides. Nous avons passé par des épreuves extraordinairement difficiles. Nous nous sommes trouvés dans des situations si terribles qu'aucun autre pays n'en a vu de pareilles au cours de ces dernières années.

En ce moment, toute notre énergie est concentrée sur l'édification du socialisme. Comparez notre méthode avec celles des différents partis des autres pays et vous verrez que nous critiquons nous-mêmes nos fautes très sévèrement. Nous faisons cela dans chaque numéro de nos journaux et nous corrigeons nos fautes. Mais quant aux méthodes de lutte fondamentales, quant aux divergences de vues entre nous et les social-démocrates au sujet de ces questions, nous sommes persuadés que nous avons raison. Telle est la situation du point de vue des expériences antérieures chez nous et dans d'autres pays.

Comparez encore le rôle de notre pays avec celui des social-démocrates, comparez le rôle international des partis social-démocrates avec celui de l'Union Soviétique et de notre parti. Nous pouvons affirmer, avec une certaine fierté, que dans le monde entier il n'existe pas un seul mouvement émancipateur qui n'ait pas de sympathies pour nous. Peut-on en dire autant de la social-démocratie ? Ce fait aussi démontre que notre politique est juste. Que nos ennemis disent tout ce qu'ils croient juste. Le fait historique reste que notre dictature existe depuis dix ans, qu'elle se renforce d'année en année, que nous ne nous occupons pas à écrire des livres sur la socialisation, à instituer des commissions pour examiner cette question, comme le font Karl Kautsky et Cie, mais que nous réalisons le socialisme dans notre pays. (Applaudissements enthousiastes.)

La question de la dictature dans notre pays a encore un autre côté dont je voudrais m'occuper pour terminer. Je suis tenté d'appeler cette question, bien que ce ne soit pas tout à fait exact, question de la dictature idéologique. Ce n'est pas seulement dans la vie politique, mais aussi dans le domaine économique que nous appliquons notre idéal d'une main ferme et que nous réalisons nos buts. Chez nous, existe également une dictature combative du prolétariat dans le domaine idéologique. Dans quel sens, dans quelle direction ? C'est la dictature du marxisme dans notre pays. Nous ne sommes absolument pas disposés à diffuser des écrits religieux, à nourrir idéologiquement la masse ouvrière avec ces choses. Notre enthousiasme n'est pas particulièrement grand quand on diffuse toutes sortes de livres idéalistes, la philosophie idéaliste et des livres d'un caractère religieux, etc., etc... Nous sommes intolérants sous ce rapport. Mais dans tous les trésors idéologiques que l'humanité a créés jusqu'à présent, nous puisons le meilleur : le matérialisme, le marxisme, qui sont nos théories scientifiques. Armés de ces instruments et de ces nobles armes, nous luttons contre les influences et idéologies étrangères. Chez nous, il est absolument impossible d'intenter un procès au darwinisme, comme tel a été le cas dans le pays classique de la démocratie bourgeoise, aux États-Unis. Un juge qui oserait s'élever contre le darwinisme, ferait bien vite connaissance de la prison.

Nous sommes d'avis que le prolétariat a besoin d'une direction unique, que nous devons étouffer dans son germe tout ce qui décompose et empoisonne la classe ouvrière. Nous nous appuyons sur le marxisme, l'idéologie du prolétariat. Nous avons fait du marxisme notre théorie d'État et nous l'enseignons dans toutes les écoles et universités. Nous n'éprouvons aucune honte quand on nous dit que nous sommes « partiaux ». Notre partialité consiste dans la fidélité vis-à-vis de la lutte prolétarienne et dans l'hostilité à l'influence bourgeoise. (Applaudissements.)

Après avoir passé par dix années de développement, nous pouvons affirmer avec fierté que nous avons réalisé bien des choses et que nous en ferons encore davantage. Le jour du Xe jubilé de la révolution prolétarienne victorieuse, nous sommes pleins d'espoir qu'au cours des dix années prochaines, nous remporterons des succès encore bien plus grands que pendant la décade écoulée. Nous continuerons notre chemin, la main dans la main avec le prolétariat international et les peuples opprimés du monde entier, au milieu des luttes si difficiles contre tout le monde, bourgeois, au milieu de la lutte armée si les impérialistes nous attaquent, de la concurrence économique avec les capitalistes, de notre lutte théorique contre les déviations, contre les fautes et contre toute mystification de la part de nos ennemis.

L'histoire de l'humanité n'a jamais vu des événements aussi grandioses que précisément notre époque. C'est faire preuve d'un esprit borné de supposer, à l'instar des théoriciens social-démocrates, qu'une ère pacifiste s'est ouverte pour nous depuis la création de la S. d. N. Précisément le contraire est vrai ! La S. d. N. est un syndicat des Etats brigands de l'impérialisme mondial ; l'Amérique y manque encore.

En 1914, la lutte se déroulait entre deux coalitions. La guerre prochaine sera ou bien une collision entre tout le monde bourgeois et l'Union Soviétique, unie au prolétariat mondial, ou bien une collision entre coalitions bourgeoises. Que sera-t-elle? Cette guerre sera sans précédent dans l'histoire. Et nous pouvons dire dès maintenant que, dans le monde entier, il n'existe qu'une seule force capable de sauver l'humanité — le prolétariat et les peuples opprimés.

Dans les pays de l'Europe occidentale, notamment en Allemagne, où les résultats de la guerre ont été particulièrement sensibles, il y avait, pendant les premières années de l'après-guerre, une idéologie qui fit beaucoup d'adeptes parmi la bourgeoisie : il est possible que la civilisation périsse; il faut donc chercher d'autres chemins. Mais, maintenant, dans l'étape de la soi-disant stabilisation, les hommes commencent à oublier ce qu'a été la guerre. Nous, dans l'Union Soviétique, nous sommes évidemment de très grands « barbares », mais nous n'oublions nullement les leçons de la guerre impérialiste.

Non, nous n'avons oublié aucune des conséquences de la guerre mondiale. Nous savons pertinemment que les nouvelles guerres seront encore plus terribles que la dernière. Aussi mobilisons-nous d'avance toutes les forces et disons qu'il n'y a pas de tâche plus élevée que la lutte contre la guerre impérialiste, que la lutte pour la victoire de la classe ouvrière, car la victoire de la classe ouvrière équivaut à l'affranchissement de l'humanité tout entière de la véritable barbarie, du capitalisme. Cela n'est nullement une belle phrase, cela n'est nullement une « idée noble », car c'est dans la victoire du prolétariat que réside l'unique possibilité de briser l'échine au capitalisme. Nous avons été et nous restons les porte-drapeaux de l'ancien mot d'ordre: « Vive la révolution internationale! » (Longs et puissants applaudissements. Les délégués, debout, chantent l'Internationale.)


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