1927

 

 

 

Publié dans La Correspondance Internationale, 7e année, n°120, décembre 1927, pp. 1752-1755 avec la précision de la rédaction : « Nous publions ici la première partie du discours de Boukharine consacré à l’opposition. ».
La seizième conférence de la goubernia de Moscou du PCUS(b) eut lieu du 20 au 28 novembre 1927. Dans sa résolution sur le rapport du Comité Central du PCUS(b), la conférence approuva les activités politiques et organisationnelles du Comité Central, ainsi que ses décisions sur l'opposition trotskyste. La conférence élut J.V. Staline comme délégué au quinzième congrès u PCUS(b).

 

 

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Le caractère menchéviste de l’idéologie et de la tactique de l’opposition

Discours prononcé à la XVIe Conférence du parti de la province de Moscou

N.I. Boukharine

Novembre 1927



Permettez-moi avant tout de saluer, au nom du Comité central, la conférence du prolétariat organisé du parti. (Applaudissements.) Notre conférence se tient immédiatement avant le XVe congrès ordinaire du parti, après la célébration des dix années de notre révolution prolétarienne dans les circonstances d’une lutte acharnée au sein du parti, lutte qui partiellement dépasse toute limite et qui revêt un caractère particulier. Cette lutte ne constitue pas du tout une large crise du parti ou une crise dans le pays, mais elle est menée avec un tel acharnement, que jamais les grandes divergences d’opinions au sein de notre parti n’ont provoqué de pareilles méthodes de lutte anticommuniste et que le groupe d’opposition très insignifiant dans nos rangs a dépassé déjà en partie le cadre de notre organisation du parti.

Je voudrais dans mon rapport tirer d’abord quelques conclusions de la discussion de ces derniers temps.

I. — L’idéologie de l’opposition

Si nous essayons de résumer brièvement le résultat de cette discussion, nous pouvons dire que dans le domaine des divergences fondamentales d’opinion, l’opposition trotskiste s’est engagée complètement sur la voie du menchevisme et cela dans les questions fondamentales de notre révolution. Dans l’opposition, nous avons un nouveau menchevisme, un « néo-menchevisme » qui se distingue naturellement du menchevisme classique par quelques particularités, mais qui coïncide avec lui dans l’essentiel. Dans les questions de l’estimation des forces motrices de l’opposition et de l’estimation de la situation actuelle de notre pays, au seuil de la dixième décade après la victoire du prolétariat, on répète, dans une partie tout à fait grande des points de vue de l’opposition, presque mot pour mot ce qu’affirme le menchevisme classique dans la personne des représentants les plus caractérisés.

Or, ce n’est pas seulement sur ce point, mais aussi dans les méthodes de combat et dans la ligne tactique en général que notre groupement d'opposition répète les méthodes de lutte caractérisant les éléments des organisations politiques qui sont de l’autre côté de notre parti. Je songe, en premier lieu, au parti ouvrier social-démocrate russe, c’est-à-dire à l’organisation des menchéviks. Tel est le résultat.

Je vais m’efforcer, camarades, d’être aussi bref que possible sur cette question. Il est facile de comprendre qu’il est impossible d’étudier ces questions qui ont occupé notre parti tous ces derniers temps et qui sont absolument liées avec de très grandes dépenses pour tout notre Etat, pour tout notre travail concret.

Qu’y a-t-il à la base de l’estimation théorique de la situation dans notre parti, telle que la présente l’opposition ? Elle suppose que notre pays, à cause de sa faiblesse technique et économique, est incapable, sans l’aide du prolétariat victorieux dans d’autres pays, de continuer avec succès l’œuvre de l’édification socialiste.

Cette formule trotskiste, qui a été établie et défendue plus d’une fois par Trotski, fut, sous une forme différente, à la base de la faute d’Octobre de Zinoviev et de Kamenev1. Cette formule a été reprise devant le XIVe Congrès. Elle exerce encore sa pression maintenant.

De cette formule, l’opposition déduit que notre disparition est inévitable, que — étant donné le retard de la- révolution mondiale — notre dégénérescence, passant, conformément aux théories menchévistes et de l’opposition, par une série d’étapes, est inévitable. Du point de vue de la répartition des forces les plus importantes de classes dans le pays, nous devons avoir maintenant le regroupement suivant : du prolétariat à la paysannerie, et par conséquent du prolétariat à la petite-bourgeoisie, de la paysannerie au koulakisme, c’est-à-dire de la petite-bourgeoisie et du simple producteur de marchandises aux éléments capitalistes, du koulakisme à la bourgeoisie, au nepman, etc. Par une série d’étapes intermédiaires, par une série de chaînons de ce grand processus, nous en arrivons soi-disant au point que le gouvernail principal, l’hégémonie passe d’une main dans l’autre, de la classe ouvrière au capitalisme, à la bourgeoisie du nepman. Sur la base du regroupement des forces dans notre pays, sous l’influence de la politique faite par notre parti, il s’accomplit, paraît-il aussi, une dégénérescence correspondante de notre appareil d’Etat, c’est-à-dire un changement radical du pouvoir dans notre pays. Il s’accomplit tout d’abord, paraît-il, l’éloignement de l’appareil général d’Etat de la dictature prolétarienne de sa base prolétarienne de classe, puis se produit la transformation de l’appareil d’Etat en une espèce de force indépendante qui se place au-dessus des classes ; ensuite, cet appareil autonome, indépendant de sa base prolétarienne de classe, reçoit, paraît-il, ainsi que dit Trotski, une autre « mission sociale », une « mission sociale d’autres classes », il se cherche à tâtons une autre base sociale, une base bourgeoise. Cela, c'est l’expression du thermidorianisme, du bonapartisme.

On en tire la conclusion pratique que le régime actuel du parti est le danger principal et son renversement le premier devoir de chaque membre du parti, de chaque révolutionnaire. C’est ainsi qu’est caractérisé le tableau du regroupement des forces de classes au sein dé l’appareil d’Etat, au sein du parti. Tout le monde suit le même chemin, parcourt les mêmes étapes et le sens général de ce processus est le processus de la dégénérescence thermidorienne bonapartiste.

Camarades, je considère comme superflu de rester plus longtemps sur l’exposé de cette théorie même, parce qu’elle vous est assez connue et vous en avez par-dessus les oreilles. Il est tout à fait évident que ce serait indigne de notre parti de la démentir dans sa nature même, c'est-à-dire de prouver que notre parti n’est ni bonapartiste, ni thermidorien.

Je voudrais établir un seul fait. Cette théorie est commune à notre opposition et au menchevisme. Je dis ceci avec la pleine conscience de la responsabilité de mes paroles, avec la pleine conscience que je n’exagère pas d’un iota. Je vais vous faire quelques citations tirées d’œuvres menchévistes et de déclarations de l’opposition, par lesquelles vous verrez non seulement la coïncidence entière du sens politique, mais même la concordance complète, littérale de quelques formulations.

Je citerai trois extraits d’un discours de Trotski et deux extraits du Messager socialiste :

Trotski, au dernier Plénum du C.C. et de la C.C.C., a dit :

« Toute la politique de la direction du parti trouve son expression dans le régime du parti. Cette politique a déplacé dans ces dernières années son gouvernail de classe de gauche à droite : du prolétariat à la petite-bourgeoisie, de l’ouvrier au spécialiste, du membre ordinaire du parti au membre de l'appareil, de l’ouvrier agricole et du paysan pauvre au koulak, de l’ouvrier de Shanghaï à Tchang Kai Chek, du paysans chinois à l'officier bourgeois, du prolétaire anglais à Purcell, Hicks, aux membres du Conseil général, etc., et cela sans fin. C’est ce qui consti­tue la nature spéciale particulière du stalinisme. »

Voici maintenant la seconde citation qui couronne tout l’édifice :

« Le régime du parti résulte de toute la politique de la direction. Derrière le camarade de l'appareil le plus extrême, il y a la bourgeoisie du pays qui renaît. Derrière le dos de celle-ci, il y a la bourgeoisie mondiale. Toutes ces forces exercent une pression sur l’avant-garde prolétarienne en ne lui permettant pas de lever la tête ou d’ouvrir la bouche. Plus la politique du C. C. s’écarte de la voie de classe, plus il faut imposer à l’élite prolétarienne cette politique de haut en bas par des méthodes de contrainte. C’est là que se trouve la racine du régime indigne actuel du parti. » (Ibidem.)

Voilà le point mis sur les i. Derrière « le camarade de l’appareil », c’est-à-dire derrière le noyau du Comité Central (c’est ainsi que s’exprime Trotski), il ne se cache pas seulement la petite bourgeoisie, non pas seulement le koulak, mais la bourgeoisie cristallisée, dans sa maturité, derrière le dos de laquelle se cache à son tour la bourgeoisie mondiale. Cela signifie par conséquent que nous, les représentants du C. C., nous sommes les idéologues de la politique du nepman, de la politique de la bourgeoisie mondiale. (Hilarité) Ceci est très ridicule, mais cela n’a pas été dit n’importe où, mais dans une séance du C. C. et de la C.C.C.

Telle est la caractéristique donnée par Trotski. Or qu’écrivent les menchéviks ? Les menchéviks sont ici plus conséquents : Ils vont chercher l’origine de notre péché bonapartiste, non pas dans ces derniers temps et pas même à l’époque du mûrissement du « grand bloc » de Zinoviev et de Trotski, ils vont chercher notre origine au moment de la révolution, au moment de la prise du pouvoir par les bolchéviks. Voici ce que Dan écrit dans le Messager socialiste, nos 21-22 :

« Le même discours de Lénine qui proclama la nouvelle politique économique se termina aussi par un nouveau mot d’ordre qui prescrivait de tenir, à partir de maintenant, les socialistes en prison.
« Ainsi la dictature bolchéviste est entrée dans une nouvelle phase de son développement, dans la phase de la NEP, au moment où les tâches révolutionnaires que l’histoire lui a données à exécuter deviennent de plus en plus du passé et où l’instinct de conservation devient de plus en plus le but qui se suffit à lui-même, bien qu’il soit encore dissimulé derrière des théories fantaisistes. De force révolutionnaire, elle devient de plus en plus une force conservatrice, de quelque chose qui exprime les intérêts des masses, dans une situation déterminée, historiquement conditionnée, elle devient l’obstacle à l’extériorisation et à la défense de leurs intérêts dans les nouvelles circonstances créées par la révolution.
« Car dans ces nouvelles circonstances où la paysannerie petite bourgeoise devient la force sociale, principale de la Russie où l’Etat dans les fabriques et usines nationalisées réalise une économie capitaliste, où se sont formés de puissants cadres de gens (fonctionnaires, administrateurs), dont les sources d’existence sont la plus-value, mobilisée il est vrai par l’Etat, mais créée par le travail des ouvriers ; où, en un mot, en Russie, ressuscitent des classes de la société bourgeoise et, en même temps qu’elles, des antagonismes de classes, dans ces circonstances les intérêts des travailleurs et en particulier les intérêts de la classe ouvrière, aussi bien en Russie que dans les autres pays, exigent la liberté de l’organisation de classe et de lutte de classe, qu’on ne saurait imaginer sans liberté politique.
« Comme facteur révolutionnaire la dictature bolchéviste s’est dépassée elle-même historiquement. Elle se transforme en une dictature de l’appareil qui se détache de plus en plus de toutes les classes et s’oppose elle-même à toutes, qui entre de plus en plus en conflit avec les intérêts du développement social et qui, par conséquent, pourrit dans un corps vivant ».

Vous voyez que Dan, dans son appréciation, est même un peu plus modéré que Trotski, parce que Dan en reste au point où l’appareil se détache du prolétariat et s’en est détaché, ainsi que Trotski dit que cet appareil a dépassé le stade de son détachement, qu’il s’est déjà créé la base de classe du nepman derrière le dos duquel il y a la bourgeoisie internationale.

La dernière citation est tirée de l’article leader du dernier numéro du Messager socialiste consacré au jubilé de notre révolution. Dans un article intitulé « La dévastation du jubilé » on donne une appréciation directe des actes de l’opposition dans ces derniers temps et on l’utilise du point de vue de la tactique. Voici ce que nous trouvons dans cet article leader :

« Il y a quelque chose parmi les thèses de l’opposition qui ne peut manquer de trouver un écho général. Sa caractéristique de la dictature en dégénérescence est exacte en beaucoup de points et est conforme à la réalité. Qu’elle ne soit pas nouvelle sur aucun point, qu’elle ait fait des emprunts à des adversaires politiques, qu’importe. Ce qui est important, c’est qu’elle est juste. C’est qu’elle reconnaît ouvertement ce qu’on ne pouvait dire jusqu’à maintenant que dans la presse socialiste illégale. Ses indications sont très justes. Le processus de dégénérescence se poursuit rapidement, processus que l’opposition appelle « thermidorianisme » ; l’activité des masses du peuple est remplacée par l’activité des instances. A la place du peuple, il y a le gouvernement et il en est ainsi dans tous les domaines. A la place de l’activité des ouvriers, l’activité des administrateurs. A la place des Soviets, l’activité des bureaux. A la place de l’armée, la suffisance des officiers. A la place des masses du Parti, les circulaires du Parti. Trotski a raison, c’est le tableau réel, mais nous avons dit plusieurs fois et nous avons écrit plusieurs fois où ce développement nous conduira fatalement. Quoi d’étonnant si, maintenant que l’opposition communiste elle aussi a vu ce que seuls des aveugles ne peuvent pas voir, elle est capable de se gagner des sympathies et de trouver du crédit.
« Il y a quelque chose des thèses de l’opposition qui ne peut, manquer de trouver un écho général. » Regardons maintenant ce « quelque chose ». Sa caractéristique de la dictature en dégénérescence est exacte en beaucoup de points. Qu’elle ne soit pas nouvelle sur aucun point, qu’elle fait des emprunts à des adversaires politiques. Qu’importe ! Ce qui est important, c’est qu’elle est juste, qu’elle reconnaît bénévolement ce qu’on ne pouvait lire jusqu’à maintenant que dans la presse socialiste illégale (lire « menchéviste » — N. B.) Ces indications sont très justes, le processus de dégénérescence se poursuit rapidement, processus que l’opposition appelle thermidorianisme ; l’activité des masses est remplacée par l’activité des instances, à la place du peuple, il y a le gouvernement et il en est ainsi dans tous les domaines ; à la place de l’activité des ouvriers, l’activité des bureaux... elle est capable de se gagner des sympathies et de trouver du crédit. »

J’ajoute que, pour ma part, le symbole de ces « sympathies des ouvriers » peut être des galoches et des concombres salés. (Applaudissements.) Mais ce n'est pas cela qui est important dans le moment donné. Dans le moment donné, ce qui est important, c’est que nous avons ici devant nous une parfaite concordance. Il n’y avait autrefois que des appels, de part et d’autre entre l’opposition et les menchéviks, mais maintenant nous avons une parfaite concordance de pensée politique, il ne s’agit pas d’un rapprochement vers quelque chose de commun, mais une parfaite concordance de pensée politique, car lorsque le Messager socialiste dit que dans l’opposition « il y a quelque chose de juste », il s’avère que ce « quelque chose » est la caractéristique des rapports de classe dans le pays, que ce « quelque chose » est la caractéristique de classe de notre pouvoir d’Etat, que ce « quelque chose » est la caractéristique de notre parti. Qu’est-ce qu’il reste des autres questions importantes en dehors de ce « quelque chose » ? Absolument rien. Le principal est épuisé. Ce qui est caractéristique, c'est le fait que la petite chaîne de ces embrassades réciproques continue. On a remarqué chez nous, dans les journaux que Milioukov a reproduit dans son organe les documents de l’opposition avec la remarque suivante de la rédaction, imprimée en caractères gras !

« Ci-dessous, nous reproduisons quelques extraits de la littérature bolcheviste de l’« opposition ». En Russie soviétique, ces extraits ne peuvent pas être publiés. Ils sont imprimés dans des imprimeries clandestines comme sous l’ancien régime et ils sont recherchés et anéantis comme l’ancien régime également. De cette façon, nous réalisons la liberté de la presse pour le citoyen Trotski. Nous n’attendons pas de remerciements, mais nous exprimons notre satisfaction de voir que l’opposition bolchéviste en est arrivée au stade de la presse illégale. Nous espérons que ce stade sera suivi d’autres. »

Voilà une appréciation, voilà une « vérité de classe de l’ennemi de classe ». Camarades, je considère comme superflu de m’arrêter plus longtemps sur le contenu idéologique de la plate-forme de l’opposition. Il est tout à fait clair que nos divergences d’opinions idéologiques ont déjà dépassé le cadre des divergences tactiques d’opinions, et qu’elles sont devenues des divergences d’opinions sur le programme. Je suis d’avis qu’il n’y a pas de place dans notre parti pour des gens aux opinions pareilles. (Tempête d’applaudissements.)

Il est compréhensible pour tout le monde que des divergence tactiques d’opinions sont des divergences d’opinions qui présupposent un certain langage commun. Je puis, par exemple, être d’opinion différente avec mes camarades de parti dans l’appréciation numérique des déformations qui existent chez nous. Je puis être d’opinion différente dans l’appréciation de telle ou telle méthode de lutte contre ces déformations. Mais si j’ai une divergence d’opinions avec un partenaire quelconque avec un camarade de longues luttes communes sur l’appréciation de savoir si notre parti est le parti du prolétariat révolutionnaire ou s’il est un parti dégénéré dont il faut se débarrasser le plus vite possible, il n’y a plus rien de commun entre nous, nous sommes des ennemis et, partant de cela, il faut en tirer les conséquences. Je sais qu’il y a une logique de la lutte ; certaines gens ne disent pas ce qu’ils croient, certaines gens continuent la lutte comme ils le voudraient, cela est vrai sans doute de certains opposants.

Mais il ne s’ensuit pas du tout qu’il nous faut continuer à être patients. Car il arrive des choses qui mettent les gens de l’autre côté de la barricade. Si nous avons un pouvoir thermidorien, il faut briser notre pouvoir, mais si c’est une dictature prolétarienne, il faut la défendre ; s’il existe chez nous un thermidor, il faut organiser les grèves dans les usines, mais s’il existe chez nous une dictature prolétarienne, il faut édifier une industrie socialiste. Si notre parti est dégénéré, il faut le détruire, mais s’il existe chez nous une dictature prolétarienne, il faut défendre notre pays jusqu’à la dernière goutte de notre sang.

Ce sont deux programmes différents et non deux tactiques différentes, et si les politiciens de l’opposition passent de l’une à l’autre, s’approchant tantôt de celle-ci, tantôt de celle-là (suivant les coups qu’ils ont reçus des ouvriers), nous disons : Excusez, mes chers, c’est un jeu indigne, avec la plateforme de « thermidor » nous ne laisserons personne dans le parti. (Applaudissements,)

II. — La tactique de l’opposition

De tout ce que j’ai déjà dit ressort aussi la tactique que poursuivent les opposants. Je ne m’arrêterai pas à nouveau sur ces questions et je ne raconterai pas à nouveau la chose en commençant par les « frères des forêts » pour terminer par toutes les maisons de campagne, l’occupation de l’école supérieure technique de Moscou, etc., etc... Vous connaissez toute la « musique » par les journaux, mais je voudrais seulement dire que nous avons déjà affaire en général ici avec toutes les formes de lutte, à la seule exception du soulèvement armé, Nous avons du travail illégal et des imprimeries illégales. Nous savons comment Rakovski a organisé à Kharkov une demi-grève. Cela vous prouve déjà qu’ils ne s’arrêteront pas là et qu’ils passeront à la grève. Nous avons, de plus, des manifestations de rue. Ce n’est pas de la faute aux opposants s’ils n’ont mis dans la rue qu’une petite poignée de personnes et s’ils n’en est rien sorti. L’important, c’est qu’ils sont passés à la lutte dans la rue. Or, lorsqu’il y a déjà tentative d’organisation de grève, la seule chose qui suive, c’est le soulèvement armé.

Il n’y a pas de forme intermédiaire. La forme intermédiaire dans l’échelle des formes de lutte n’existe pas. Lutte illégale, mobilisation de ses propres forces, agitation, propagande, action de masse, grève, plus manifestations. Ensuite, il ne vient que manifestations plus soulèvements, il ne peut pas y avoir autre chose.

Ils ont un autre programme dont le drapeau a été déployé dans la fameuse thèse sur Thermidor ; ils ont une autre tactique que l’on ne peut appeler autrement que la tactique du soulèvement contre le pouvoir soviétique et contre notre parti, tactique dont le premier petit drapeau a été déployé dans la fameuse thèse sur Clemenceau que Trotski a essayé de répudier en disant qu’il ne l’avait pas exposée ainsi2. Maintenant, l’importance de cette thèse apparaît même au plus bête. Cela signifie la révolution dans notre parti, cela signifie un autre pouvoir, cela signifie un autre parti.

Evidemment, l’opposition ne songeait qu’à la perspective de la conquête de la direction du parti. Elle croyait qu’elle jouissait d’une autorité si puissante dans le pays que ce serait facile à réaliser, qu’elle réussirait à convaincre tout le monde et que la révolution clemenciste se ferait sans douleur. Trotski se montrerait, deux étudiants crieraient : « Vive le chef de l'armée rouge ! » et tout serait fini. Tous les ouvriers n’attendaient que cette révolution, chacun n’attendait par conséquent que la venue des « sauveurs de l’opposition ». Dès qu’ils apparaîtraient sur les degrés de leur sanctuaire, tout se passerait sans douleur, sans aucun choc sanglant, sans aucune guerre civile, voilà ce qu’ils ont espéré.

Mais la vie a montré quelque chose de différent. Dans le parti, ils n’ont rien obtenu. Alors, ils ont commencé à en appeler à tout le monde. Ils ont commencé à en appeler aux larges masses, mais les larges masses les ont assommés. (Hilarité.) Maintenant, il faut qu'ils se cherchent une consolation quelconque. Cette consolation est publiée aujourd’hui dans les aveux d’un camarade qui est passé de notre côté, mais qui autrefois était membre d'un comité de province de l’opposition, et qui avait assisté aux séances du C.C. « unifié de Zinoviev et de Trotski », dans le logement de Smilga « unifié ». (Hilarité.)

Le tragi-comique, ou pour dire mieux, ce qu’il y a de simplement comique, c’est le fait que lorsqu’ils rassemblèrent tous leurs gens, ils reconnurent avec une unanimité complète qu’« ils avaient dormi trop longtemps ».

Après s’être avoué entre eux « qu’ils avaient dormi trop longtemps », ils remirent le jour suivant deux papiers au C.C., où ils disaient qu’il y avait un million d’ouvriers pour eux. Ils envoyèrent des papiers où il est dit que tout le monde a été absolument pour eux et qu’il n’y avait contre eux qu’une infime poignée de perturbateurs « d’Ouglanov ». (Hilarité.) L’opposition représente une petite poignée et ce petit groupe vit d’illusions et mène ses chefs par le bout du nez. Récemment, un opposant proclama dans une usine que Trotski allait venir et que tous étaient 100 % pour lui. Mais que s’est-il avéré ? Il s’est avéré que l’assemblée fut unanimement contre l’opposition. Ils vivent d’illusions, de fantaisies oppositionnelles. Certains pensent qu’on pourrait les laisser poursuivre leur chimère. Mais si ce qu’ils font maintenant n’est pas nuisible en soi cela déchaîne d'autres forces.

C’est un fait camarades, qui fut souligné à plusieurs reprises et qui mérite en premier lieu notre attention. Si vous allez par les rues d’une grande ville, vous voyez sur la place et dans les tramways la racaille petite bourgeoise qui se rengorge dans notre pays. Pourquoi ? Parce que l'opposition a déchaîné toutes ces forces. Il se crée des cercles, des groupes clandestins.

Récemment j’ai reçu d’Odessa le programme d’un « parti ouvrier communiste » qui représente un document particulièrement intéressant pour caractériser les états d’esprit de cette sorte. Par le programme, on pouvait voir qu’il a été écrit par un intellectuel retors. Il prend la thèse sur « Thermidor » et sur la « dégénérescence » et la développe de façon évidemment plus grossière et plus violente que l’opposition : les chefs du parti se sont transformés en nouveaux capitalistes, en buveurs de sang et autres choses plus belles encore. On y raconte que nous excitons une nation contre l’autre, on y trouve de puissants accents antisémites. Mais ensuite le bout de l’oreille de l’intellectuel perce tout d’un coup. Les auteurs ont trouvé que le crime principal, c’est d’exciter les ouvriers contre les intellectuels.

Mais il est tout à fait clair que le point d’appui pour ce programme a été les thèses de l’opposition qui déchaînent toutes ces forces purement réactionnaires. De plus, on répand diverses proclamations contre-révolutionnaires et il y en a beaucoup plus maintenant qu’il y a quelques mois.

Il faut remarquer actuellement un certain accroissement des cercles et petits groupes qui rêvent de Thermidor, de conjurations. Je crois qu’il sera nécessaire de montrer le poing (Tempête d’applaudissements.) à toute cette racaille pour qu’elle sache...

Les documents et les actes de l’opposition sont un moyen d’animer la troisième force. Tous ces actes de l’opposition viennent précisément au moment où déferle sur nous une puissante vague de sympathies internationales.

Nous sommes maintenant témoins d’un état de choses qui montre même parmi les ouvriers social-démocrates un grand accroissement de sympathies pour l’U. S. exprimées aussi bien dans les délégations que dans le Congrès des Amis de l’Union soviétique qui a eu lieu dans cette même salle et qui vient de se terminer. On vit ici environ un millier de délégués étrangers. Or, camarades, si vous aviez parlé avec les délégués lorsqu’ils furent arrivés, vous auriez vu quelle transformation s’est produite en eux et dans quel état d’esprit ils sont partis d’ici. Si vous saviez comment ils ont été élus, quelle lutte eut lieu dans leur pays, comment ils durent voyager, vous auriez senti les liens qui les unissent aux grandes et larges masses de la classe ouvrière. Tout leur enthousiasme n’est pas le fait du hasard, enthousiasme même devant les fêtes de gymnastique, sans compter les autres. Leur présence ici est une preuve qu’ils se tournent vers l’Union soviétique, vers notre Etat prolétarien.

Je voudrais signaler un trait tout à fait saillant dans ce Congrès. De cette tribune parla un Français, le président de la délégation française, Colomer, qui est le rédacteur d’un journal français influent ; il avait toujours pris position contre nous ; il avait tout le temps défendu le point de vue anarchiste ; il avait toujours été contre nous, car il croyait que nous étions des étrangleurs d’âmes, des pillards, etc. Il a fait ici une déclaration au nom des anarchistes français et des anarchistes qui appartiennent à d’autres délégations, disant qu’il répudie complètement cette position. Et c’est au même moment que Trotski et compagnie nous proposent d’aller aux, anarchistes.

(A suivre.)

Notes

1 Boukharine fait allusion à l'opposition de Zinoviev et Kamenev à l'insurrection d'octobre 1917. Voir à ce sujet Lénine, Lettre aux membres du parti bolchevik.

2 Au sujet de la « thèse sur Clemenceau », voir Pierre Broué, Trotsky, chapitre 32.


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